« Tous les serpents ne tuent pas les humains », aimons-nous à dire. Mais les serpents qui restent calmes devant nous assez longtemps pour que nous ayons le temps de décider si nous devons les tuer ou non, sont rares. Nous avons vu des gens qui nous ressemblent mourir tués par des serpents parce qu'ils ne savaient pas qu'il fallait se méfier de tout ce qui ressemble à un serpent. « Se rapprocher d'un serpent », disait mon père, « c'est jouer ta vie sur le fait qu'il y a des serpents qui ne tuent pas les gens ». Il était craintif, il était humain. Un être humain restera toujours victime des projections de son imagination.
Nous aimons classifier le monde. Nous aimons simplifier et classifier ce qui nous entoure. Il serait facile de vivre dans ce monde si nous pouvions, sans aucune erreur, montrer du doigt les choses et les êtres et dire ce qu'ils sont. Le monde serait facile si nous étions capables de le diviser en deux camps : le camp des « eux » et le camp des « nous ». Mais la vie elle-même semble être à l'image d'une blague se jouant de notre intelligence. Quand on veut croire que l'eau bue par la personne assoiffée est notre amie, on voit le cadavre de notre voisin noyé qui flotte dedans. Le feu qui brûle est encore entrain de brûler toutes les idées que nous nous en faisons... Ce ne sont pas tous les serpents qui tuent les humains et dans notre recherche de la vraie nature du monde, aucun être et rien n'est resté fidèle à l'image que nous lui avons donnée.
Notre approche philosophique du monde est, en réalité, faite de questions et ce que nous voyons de l'existence n'est rien d'autre que l'existence qui est exposée à notre façon de questionner. Mais malheureusement, nous n'avons pas encore réussi à poser la question qui obligera la nature à nous répondre par un « oui » ou un « non ». La question « Qu'est-ce que l'eau ? » n'est pas une question, car la réponse de l'existence à cette question est simplement trop grande et trop lointaine pour être perçue par la fenêtre à travers laquelle nous regardons le monde. Mais à la question « l'eau étanche-t-elle la soif ? », la réponse est « oui » et à la question « l'eau noie-t-elle les gens ? », la réponse est « oui ».....
C'est peut-être pour cela que le champ de notre imagination est si grand. Cette imagination n'est issue que de notre expérience. De nombreux proverbes dans le monde sont considérés comme de la sagesse, mais ils ne font en réalité que révéler la frustration de l'humanité à chaque fois qu'elle tente de classifier le monde. « Celui qui a été mordu par un serpent aurait peur d'un ver. » « Si ton père a été tué par un chevalier, tu fuiras tout ce qui ressemble à une personne à cheval. » « Si tu prépares de la nourriture pour une personne méfiante, n'arrête pas de siffler » ...etc. La méfiance est la sagesse d'une personne qui est frustrée par les contradictions de ce monde - la personne qui projette son imagination sur le monde parce qu'elle se sent déshonorée par la réalité.
L'histoire que je vais raconter s'est déroulée dans un village moderne habité par des gens à la mentalité moderne - c'est-à-dire enfermés dans leur illusion d'être mieux que ceux qui vivent dans la brousse sans voiture, sans électricité, etc.